La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire interrogée par des acteurs du territoire

Le 27 novembre 2020

Re-belle, Altrimenti, Lemon Tri, la Réserve des Arts, la Recyclerie de la Noue et bien d'autres acteurs du territoire, ambassadeur.ices du In Seine-Saint-Denis, proposent des solutions écoresponsables favorisant une économie circulaire.


Ils répondent déjà à des enjeux posés par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, promulguée le 10 février 2020, pour autant ils s'interrogent quant aux conséquences de cette loi. A l'occasion de la journée spéciale économie circulaire made in Seine-Saint-Denis, le 26 novembre 2020, ils ont pu poser leurs questions à Marline Weber, Responsable des affaires juridiques et européennes à l'INEC, l'Institut National de l’Économie Circulaire qui a pour mission de promouvoir l’économie circulaire et accélérer son développement grâce à une dynamique collaborative.

Re-belle et Altrimenti

  • Quelles sont les principales mesures prévues par la loi AGEC pour lutter contre le gaspillage alimentaire ? Quelles sont les évolutions par rapport à la loi Garot de 2016?

La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite loi AGEC) du 10 février 2020 introduit une définition légale du gaspillage alimentaire.  De nouveaux objectifs de réduction du gaspillage alimentaire d’ici 2025 sont fixés pour la restauration collective et commerciale. L’obligation de réaliser un diagnostic de « gaspillage alimentaire », jusqu’ici obligatoire pour la restauration collective, est généralisée à l’ensemble des opérateurs agroalimentaires à partir de 2021. Ce diagnostic permettra d’avoir les données en vue de mettre en place des actions de transformation des modes de production et de consommation pour lutter contre la surproduction et de surcroît les invendus. Aussi, un label « anti-gaspillage alimentaire » est créé à l’échelle nationale. Celui-ci pourra être accordé à toute personne morale contribuant aux objectifs nationaux de réduction du gaspillage alimentaire. »

 

De plus, depuis la loi Garot, rendre les invendus impropres à la consommation est interdit et passible d’amende. Pour permettre la réutilisation de ces denrées alimentaires invendues, les grandes et moyennes surfaces et opérateurs de l’agroalimentaire ont l’obligation de conclure une convention de don avec des associations de lutte contre la précarité, en vue d’organiser les modalités de don de leurs biens invendus. Depuis la loi AGEC, cette obligation est élargie aux commerces de gros (entreprises de toutes tailles qui achètent des produits aux distributeurs, stockent et revendent aux détaillants). Les sanctions en cas de non-respect de ces obligations sont également durcies : auparavant sanctionné à hauteur de 3 750€, le montant de l’amende est maintenant calculé en pourcentage du chiffre d’affaires de la structure, en fonction de la gravité des faits constatés.

 

Il faudra en second temps s’assurer que les flux d’invendus alimentaires captés grâce à ces nouvelles dispositions soient dirigés convenablement vers des structures comme Re-belle ou Altrimenti. Toutefois, les décrets d’application de ces dispositions précisant leurs contours précis n’ont pas encore été publiés.

 

Lemon Tri

  • Le sujet de la consigne a fait couler beaucoup d’encre au moment du débat parlementaire : Quelle place pour la consigne en France dans les années à venir ?

La mise en place d’un dispositif de consigne a en effet amené à des débats importants au sein des deux assemblées ainsi que de la société civile, sur la signification même du mot « consigne ». Elle recouvre en effet plusieurs réalités : alors que la consigne pour réemploi, qui désigne le mécanisme de consigne partagé dans l’imaginaire collectif comme le système permettant de ramener au producteur et de réutiliser des contenants en verre, la consigne pour recyclage, elle, concerne majoritairement les bouteilles en plastique. Cette dernière implique la collecte de celles-ci en vue d’un recyclage.

Un point de compromis a finalement été trouvé, avec la mise en place d’un système généralisé de consigne reportée et sous conditions. Des objectifs sont ainsi fixés par la loi, en matière de collecte et de réduction de mise sur le marché du nombre de bouteilles en plastique à usage unique. Un bilan sera réalisé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) tous les ans sur le respect de ces objectifs.

Après publication du bilan réalisé en 2023, si les objectifs ne sont pas atteints, le Gouvernement mettra en place, après concertation avec les parties prenantes et notamment les collectivités, un ou plusieurs dispositifs de consigne pour recyclage et réemploi.

  • La loi prévoit de tendre vers 100% de plastique recyclé en 2025. Quelles sont les principales alternatives au plastique ?

Peu onéreux et pratique, le plastique reste aujourd’hui en France encore largement utilisé. Les emballages plastiques pesaient à eux seuls plus de 2 millions de tonnes en 2016. Plusieurs obstacles sont observés au recyclage plastique (environ 25% de plastiques recyclés en France), notamment sa collecte et sa recyclabilité. Des innovations sont mises en avant, comme les bioplastiques. On trouve ainsi en grande surface des sacs fabriqués à partir d’amidon de maïs, de blé ou de canne à sucre. La biodégradabilité de ces bioplastiques est parfois contestée, et ils induisent un coût supplémentaire.

Mais des alternatives au plastique existent. Le verre s’impose comme la plus évidente, en raison de son caractère réutilisable et recyclable à l’infini. Il est fabriqué à partir de sable, ressource rare, et son réemploi demande également une logistique importante, des structures de récupération et de nettoyage locales. En effet, en raison notamment de son poids, un traitement non localisé annule l’impact environnemental positif du réemploi du verre. Son recyclage, quant à lui, nécessite également de chauffer le matériau à plus de 1 500 degrés, et implique donc une forte consommation d’eau et d’énergie.

 

Le meilleur déchet reste celui que l’on ne produit pas, c’est pourquoi il est nécessaire d’opter le plus souvent possible pour la prévention de la production de déchets. Pour cela, de nombreuses solutions existent, comme l’économie de fonctionnalité (remplacer la propriété du bien par l’usage de ce bien), l’écoconception des produits en vue d’une plus longue durée de vie (réparabilité, modularité, solidité, recyclabilité…), le développement de la logistique inverse en vue de la réutilisation des produits, le réemploi, le développement du vrac… Afin d’aboutir à l’autre objectif fixé par la loi : la fin du plastique à usage unique en 2040.

  • Selon l’INEC, comment se situe la France par rapport aux autres pays de l’UE ? Quelles mesures devrait-on prendre en exemple ?

La France fait réellement figure de pionnière sur certains sujets. Elle est l’une des premières à s’être dotée d’une Feuille de route pour l’économie circulaire (avril 2018), et plus particulièrement d’une loi entièrement dédiée à l’économie circulaire (février 2020). En avance sur le régime de responsabilité élargie du producteur (REP), la France compte 26 filières au total. La loi a permis d’inscrire des innovations dans le régime juridique français, notamment en matière d’information du consommateur, comme la création d’un indice de réparabilité et d’un indice de durabilité, ou concernant le principe pollueur-payeur, avec la mise en place d’un bonus-malus contraignant en fonction de l’impact environnemental des produits.

 

Mais la France a également beaucoup à apprendre de ses voisins européens. Par exemple, la Belgique, la Suède, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne et le Portugal ont tous adopté un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les activités de réparation. pour favoriser le développement de ce secteur. Les Pays-Bas ont voté une feuille de route pour qu’en 2050 le 100% circulaire soit la norme. Les mesures sont ambitieuses avec notamment la mise en place d’un « Green Deal » sur les achats circulaires, engagements réciproques des pouvoirs publics et d’organisations publiques et privées en vue d’accélérer la prise en compte de l’économie circulaire dans leurs achats. Sur ce modèle, et avec le soutien du Ministère des infrastructures et de l’environnement néerlandais, l’INEC a lancé dès 2018 un Programme d’expérimentation « Achats circulaires », national et gratuit, avec la Métropole du Grand Paris, pour accompagner les acheteurs publics et privés à intégrer cette économie dans leurs achats.

La Réserve des Arts

  • Comment le secteur de la culture sera impacté par la loi AGEC ?

Pour réduire la production de ses déchets, il s’agit avant tout de penser en amont l’éco-conception des événements culturels, de privilégier le réemploi et la réutilisation des éléments nécessaires aux installations, et d’utiliser des matières recyclables afin de prévoir la fin de vie de celles-ci.

 

La loi AGEC ne cible pas spécifiquement le secteur de la culture. Néanmoins, bien qu’éparses, de nombreuses mesures de cette loi impactent ce secteur.

Les décors et éléments de scénographie constituent une importante source de déchets. La loi prévoit la possibilité pour les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics (comme c’était déjà le cas pour l’État) de céder gratuitement les biens de scénographie dont ils n’ont plus l’usage, au profit de toute personne agissant à des fins non commerciales, dans le domaine culturel ou dans celui du développement durable.

Aussi, concernant les établissements recevant du public (ERP), la mise à disposition gratuite de bouteilles en plastique contenant des boissons est interdite dès 2021. Les prospectus et catalogues de promotion devront être imprimés sur du papier recyclé ou issu de forêts gérées durablement à partir de 2023. Par ailleurs, la loi réaffirme l’obligation pour les producteurs ou détenteurs de déchets de mettre en place un tri des déchets à la source et, lorsque les déchets ne sont pas traités sur place, une collecte de ceux-ci (notamment du papier, des métaux, des plastiques, du verre, du bois ainsi que des textiles) à partir de 2025. Si l’événement implique des déchets de construction, le gestionnaire doit également mettre en place un tri et une collecte séparée des déchets du bois, des fractions minérales, du métal, du verre, du plastique et du plâtre.

 

Le secteur culturel est également susceptible d’être concerné par la réforme des régimes de responsabilité élargie du producteur (REP), selon laquelle les producteurs (au sens large) doivent prendre en charge la fin de vie de leurs produits. Au sein du secteur événementiel, un certain nombre de produits sont concernés par le principe de REP. Parmi ces produits, on distingue ceux appartenant à des filières déjà existantes, à savoir les emballages, les éléments d’ameublement et de décoration textile, les produits textiles (habillement, chaussure ou linge de maison) et les papiers graphiques ; et ceux appartenant à des filières REP dont la loi prévoit la création : les produits du tabac équipés d’un filtre en plastique, les jouets, les articles de sport et de loisirs et les articles de bricolage et de jardin. La responsabilité des organisateurs d’événements culturels vis-à-vis des déchets produits lors des manifestations s’applique également aux ERP.

La Recyclerie de la Noue

  • Que prévoit la loi concernant les invendus non alimentaires ? La loi AGEC favorisera-t-elle encore davantage le recours au don ?

Jusqu’ici, les invendus non alimentaires ne bénéficiaient pas de cadre légal comme c’est le cas depuis 2016 pour les invendus alimentaires. La loi AGEC a donc permis de rééquilibrer la situation en introduisant un dispositif similaire pour les invendus non alimentaires. Les parlementaires ont voté l’interdiction de leur destruction, les producteurs étant tenus de réemployer, de réutiliser ou de recycler leurs invendus dans le respect de la hiérarchie des modes de traitement. Il s’agissait d’une proposition forte de l’INEC, le respect de ce principe de hiérarchie de traitement étant un élément déterminant de cette mesure (prévenir avant tout la production de déchets, privilégier le réemploi et la réutilisation au recyclage, le recyclage à la valorisation énergétique, et privilégier cette dernière à l’enfouissement). En effet, aujourd’hui, 630 millions d’euros de produits non alimentaires sont détruits chaque année selon le Ministère de la transition écologique.

 

Concernant les produits de première nécessité, il est spécifiquement indiqué que le réemploi devra être réalisé prioritairement par le don à des associations de lutte contre la précarité et des structures de l’économie sociale et solidaire bénéficiant de l’agrément “entreprise solidaire d’utilité sociale”.

 

Aussi, afin de ne pas privilégier la destruction sur le don, les législateurs ont supprimé l’obligation de régulariser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en cas de don d’invendus alimentaires et non alimentaires neufs aux associations reconnues d’utilité publique présentant un intérêt général de caractère humanitaire, éducatif, social ou charitable. Relevant du bon sens, cette proposition était portée par l’Institut. En effet, jusqu’à son entrée en vigueur, les entreprises n’étaient pas tenues de reverser la TVA lorsqu’elles détruisaient leurs invendus, mais devaient la reverser lorsqu’elles réalisaient un don.

Un grand merci à Marline Weber de l’INEC de nous avoir éclairé sur cette loi ainsi qu’aux ambassadeurs du In Seine-Saint-Denis, Re-belle, Altrimenti, Lemon Tri, la Réserve des Arts, la Recyclerie de la Noue pour leurs questions.

 

Pour en savoir plus sur l’économie circulaire made In Seine-Saint-Denis, retrouvez en vidéos des acteurs du territoire qui s’engagent, innovent et développent des solutions.

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